COMMUNIQUE DE PRESSE / VENDEE GLOBE 2020 / NICOLAS LUNVEN
Lunven, ou le retour de l'animal à sang froid
Quelle différence il y a entre un journaliste et un écrivain, demandait-on un jour à Paul Morand ? Le journaliste est pressé et imprudent et l’écrivain est défiant et frugal. Pour moi Nicolas Lunven serait cet écrivain qui ne sait pas qu’il navigue. Ou alors l'exact contraire? Naviguer, et peut être plus encore sur ces Figaro Bénéteau, n’est qu’élaboration, choix, refus et résistance au temps.
Ce qui frappe quand on écoute Lunven c’est la vitesse d’exécution de la pensée et à cette question posée toute bête : « Pourquoi naviguez-vous ? », il répond par une question, comme les talmudistes : « Pourquoi se drogue-t-on ? J’imagine parce que c’est bon ? », en reprenant à son compte le propos d’un célèbre psychanalyste.
Lunven, 34 ans, c’est une pensée qui fuse, nette comme la trajectoire d’un tir de précision, et qui venant d’un homme qui n’a comme addiction que « le chocolat noir en barre », est assez savoureuse.
Quand je vois Lunven je vois un chat blond en bottes Le Chameau, les yeux mi-clos, sourire aux lèvres, le cœur battant à 50 pulsations minutes comme le palpitant d’un champion cycliste au repos. Je vois Lunven attendant la question à laquelle il a tant de fois répondu sur le ponton, mais toujours d’une grande patience avec ceux qui ne savent pas et à qui il faut sans cesse réexpliquer que courir c’est d’abord apprendre à perdre. Voire expliquer l’inexplicable comme cette éviction de son poste de navigateur de l’équipage espagnol Mapfre à l’issue de la première étape de la Volvo Ocean Race fin 2014. Disons un souvenir pour le moins déplaisant. Je ne voudrais pas tordre les propos de Lunven mais quand il dit : « Nous cherchons tous à nous débarrasser de la routine dans notre préparation. Mais cette même routine, une fois chassée, manque car elle permet de donner un cadre fixe à notre métier », cela donne une idée du métier de solitaire qui n’est, au fond, pas si éloigné de celui d’artisan d’art.
En 2009, Serge Messager du Figaro titrait « La victoire de la modestie ». C’est à la fois juste et réducteur, comme tous les titres d'ailleurs. Car gagner en Figaro Bénéteau ne peut être considéré comme un produit manufacturé issu du taylorisme sportif. C’est un produit fini, poli et poncé à la main; pur produit d’un sport mécanique qui se joue à égalité. J’aime aussi infiniment cette phrase de Lunven : « Je fais de la voile parce c’est ce que je sais faire de moins pire ».
Evidemment cela est dit de façon ironique. Comme une pirouette intellectuelle mais cette phrase lâchée doit être traduite : « Je fais de la voile car c’est le plus beau métier du monde ». Aujourd’hui le cheveu est plus rare et ras. Elle est loin la période où l’apprenti champion était encore dans sa période gazeuse et le style encore à l’état plastique.
Entendez souple. Non pas que Lunven se soit transformé en os de seiche. Il faut saisir ces quelques mots de l’adversité pour tenter de mieux comprendre ce qui se joue sur l’eau : le duo Gedimat (Chabagny-Tabarly) vient de franchir la ligne de la dernière Transat AG2R LA MONDIALE à Saint-Barthélemy avec 4 minutes d’avance sur... Lunven et Mahé (Generali). Thierry Chabagny qui fait équipe avec Erwan Tabarly est défait de fatigue nerveuse mais heureux d’avoir échappé à l’échafaud que représentait Generali : « Tout l’art de Nicolas est de te pousser à la faute. Ils (avec Gildas Mahé, ndlr) ont bien failli réussir… » Lunven, donc 4 minutes plus tard, reposé, rasé de la veille, tout de sang froid scientifique : « J’ai curieusement bien dormi. On a tout tenté et on a failli réussir. »
Lunven, c’est aussi le roman d’imitation. Le père remporte deux étapes de la Course de l’Aurore. Le fils arrache la 40èmeédition du Figaro en 2009 devant les Desjoyeaux, Eliès, Duthil, Koch, Troussel, Rouxel. Le voilà de retour sur cette 47èmeédition après deux années d’absence sur la course et toujours appuyé par Generali. C’est chose entendue que gagner fait partie du passif de tous les héritages. Mais il y a dans La Solitaire 46 volumes cartonnés, comme autant d’éditions.
Notre littérature maritime s’est aussi nourrie loin des exotismes « tourdumondistes » et transatlantiques, qui deviennent parfois banals à force d’étrangetés technologiques, alors que Lunven revient à cette pratique redoutée de la régate hauturière en Figaro Bénéteau qui, à l’heure des budgets débordants du Vendée Globe et de la Coupe de l’America, demeure la course de la contrainte absolue magnifiée par les économies de moyens.
Par Jean-Louis Le Touzet, OC Sport Pen Duick