Voile Mag' - Août 2022
Diablesse, le Half Tonner diabolique de Nicolas Lunven
UN SILVER SHAMROCK DE 1977
Difficile de na pas tomber sous le charme de ce half tonner, un Silver Shamrock construit à Cork en 1977 qui tire désormais gentiment sur ses aussières du côté de Port-la-Forêt. Au premier coup d’œil, ses lignes affûtées agissent comme un aimant pour qui aime les jolies carènes. Son nouveau propriétaire, un certain Nicolas Lunven, double vainqueur de la Solitaire du Figaro – excusez du peu –, nous accueille tout sourire à bord de Diablesse. Il faut dire que l’histoire de ce bateau ne manque pas de sel et que les résultats de ce refit sont franchement flatteurs.
Ce plan Ron Holland, d’abord construit en petite « série » sous l’appellation Golden Shamrock, devait à l’origine courir la Half Ton Cup 1974 organisée cette année-là à La Rochelle. Deux ans plus tard, le chantier irlandais sortait le Silver Shamrock, une version allégée et plus toilée du Golden à la demande d’un propriétaire soucieux de briller dans le petit temps. Et c’est sur un sistership du futur Diablesse qui, lui, sera mis à l’eau en 1977 qu’il remporte brillamment l’édition 1976 courue à Trieste dans les petits airs de la Grande Bleue.
Plusieurs fois modifié et optimisé depuis sa sortie pour coller à la jauge IOR (à l’époque, elle fait référence dans le monde de la régate et évolue fréquemment), Diablesse échoit au tournant des années 90 à Philippe Villion – son fils Julien, ami d’enfance de Nicolas Lunven, est un figariste reconnu sur le circuit – qui l’assagit pour le rapprocher du Golden Shamrock. Son idée : courir pratiquement en temps réel contre Chani, un autre half tonner de la série Golden lors des Vieux Safrans, l’ancienne mouture de l’actuelle Course des Iles.
Et c’est justement à cette occasion que Nicolas Lunven qui, enfant, suivait son père sur cette course estivale, va devenir raide dingue de ces voiliers rapides au près, authentiques et si jolis à voir évoluer sous voiles. Pour rappel, les half tonner ont aussi été les montures de la Solitaire du Figaro quand celle-ci se dénommait encore la Course de l’Aurore. Compétition sur laquelle son père, Bruno, et son oncle, Dominique allaient plusieurs fois faire parler d’eux.
Une petite graine était plantée qui allait déboucher, quelques années et des centaines de milles en régate plus tard, sur un achat coup de cœur en février 2020. Nicolas cherchait un voilier bon au louvoyage, héritier d’un pan de l’histoire de la course au large mais surtout un vrai bateau à voile de 9 m capable de l’emmener en croisière rapide avec sa petite famille.
UNE BELLE OCCASION A 13 000 €
Acquis au prix de 13 000 €, Diablesse n’avait rien d’une épave, le bateau continuant à naviguer assez régulièrement. Certaines modifications de confort avaient même déjà été apportées par son ancien propriétaire, à l’image de la barre d’écoute déplacée dans le fond du cockpit. Concours de circonstances, le projet de refit coïncide avec le début du premier confinement. Période trouble qui va obliger l’actuel skipper de l’IMOCA Banque Populaire à abandonner certains projets de course au large.
Dès lors, Nicolas Lunven va avoir tout le loisir de phosphorer sur son futur bijou. Plusieurs sorties en mer en famille et des « speed tests » contre le tout nouveau Figaro 3 sont réalisés au printemps 2020 pour cibler certaines améliorations à apporter ou au contraire valider les bonnes choses déjà présentes à bord comme les cale-pieds au poste de barre par exemple. Son expérience sur le circuit Figaro est un sacré plus qui lui permet de monter rapidement un cahier des charges de qualité avec un objectif clair : pouvoir manœuvrer en solitaire si besoin est, sur un voilier toujours facile à mener et équipé d’un accastillage moderne et efficace.
Début novembre, le chantier de refit est lancé chez PL Yachting à Port-la-Forêt avec à la clef un traitement anti-osmose, une nouvelle peinture de pont (avec un antidérapant Kiwigrip) et un coup de pistolet bleu roi sur la coque. En parallèle, il s’attaque pendant les quinze jours des vacances de Noël à un ponçage intensif de la colle des anciens vaigrages et de la peinture à l’intérieur. Des moments pas très amusants selon ses dires, où il joue de la ponceuse et de la meuleuse jusque tard dans la nuit dans une ambiance saturée de poussière et de résidus de peinture. Sa femme, Laure, ira même jusqu’à se demander si cette Diablesse ne lui aurait pas jeté un sort…
DIABLESSE PART EN REFIT A L’INB
Très vite, il noue une relation privilégiée avec les jeunes en formation de l’INB qui vont assurer sous sa direction pratiquement journalière et celle d’Eric Carret toute la partie aménagement intérieur, peinture sous le pont et accastillage. Diablesse part ainsi rejoindre les locaux de l’INB à Concarneau pour y être chouchouté. La cloison avant non structurelle est retirée pour créer une grande pointe avant, idem pour les deux de l’arrière qui encadrent la descente afin de réaliser des aménagements plus modernes, épurés mais surtout gagner de l’espace et de l’accessibilité vers la poupe.
Par exemple la couchette cercueil et le coin table à cartes qui trônaient de chaque côté de la descente, en gros une bonne partie des aménagements en contreplaqué d’origine, sont remplacés par quatre bannettes réglables à l’aide de palans tandis que le capot moteur est totalement revu. Abaissé, il permet aujourd’hui de voir l’arrière du voilier depuis le carré. Des planchers sur mesure en CP/ polyester pour cacher le varangage et les boulons de quille ont été aussi dessinés et fabriqués au plus juste par Nicolas. Un coin table à cartes simplifié au maximum surmontant un frigo avec ouverture par le haut trouve bientôt place à tribord devant les bannettes.
UN INTÉRIEUR TOTALEMENT REVISITE
Il fait face à un espace cambuse, lui aussi, placé sous le sceau de l’ergonomie. Pour le confort de la vie à bord, des batteries d’équipets textiles faits sur gabarit par AP Sellerie apparaissent un peu partout dans le carré et au-dessus du coin cuisine. Côté accastillage, après un démontage en règle, tout est passé au crible. Exit les rails de génois longitudinaux qui sont désormais remplacés par quatre rails latéraux avec réglage en 3D (rentreur, altitude et écarteur) : deux de chaque bord pour le solent et deux autres pour le grand génois à recouvrement.
A l’usage, ils s’avèrent vraiment pratiques à utiliser comme nous le verrons plus tard lors de notre petite navigation du jour. Le piano est complètement revu dans un souci d’optimisation : tout est aujourd’hui extrêmement fluide à la manœuvre malgré le nombre important de retours de dormants. L’expérience du figariste s’est ici exprimée pleinement et avec brio… Le circuit intérieur filière des écoutes/bras de spi n’a pas été modifié mais des poulies flip flop (à plat pont sur cales en bois, elles sont orientables) permettent de se servir des winches d’embraque ou de piano (des Performa de chez Harken) au choix.
Précisons que certains endroits du pont en sandwich dont le balsa était devenu poreux seront systématiquement repris avec remplacement de l’âme incriminée par du bon vieux contreplaqué marine. Le gréement a lui aussi été entièrement revu : un mât carbone à deux étages de barres de flèche dans l’axe construit par Hoel Composites remplace l’ancien espar en aluminium et tout le dormant est flambant neuf. Tout le courant sera changé pour du Dyneema avec boîtiers de réa sur roulements à billes en tête de mât, toujours dans la perspective de manœuvrer sans effort. Et encore une fois, rien n’est laissé au hasard !
Enfin, une bonne partie de l’électronique est issue d’un gros travail de récupération. Aérien, calculateur du pilote NKE et capteur d’angle de barre viennent de l’ancien Figaro de Nicolas Lunven tandis que les afficheurs sous la bôme sont ceux de l’ex-IMOCA Apicil de Damien Seguin dont les écrans ont été changés poste pour poste par NKE, visiblement conscient des enjeux à venir de l’économie circulaire…
UN PLAN DE PONT PROCHE DE LA PERFECTION
Excité et emballé que je suis par ce long entretien « refit » avec son skipper, nous profitons d’un petit vent de nord pour nous faire la malle en baie de Port-la-Forêt. En bon solitaire, Nicolas Lunven manœuvre seul, sa télécommande de pilote automatique autour du cou. L’occasion de vérifier la bonne fluidité de ce plan de pont on ne peut plus optimisé. GV haute en un tournemain – les voiles régate en membrane 3DI de chez North Sail sont de sorties pour Voile Magazine – le grand spi jaune ne tarde pas à se balancer au bout d’un tangon forcément en carbone.
Encore une fois, j’assiste à l’envoi en spectateur, le skipper de Diablesse prenant visiblement beaucoup de plaisir à naviguer sans assistance ! Voiles bien établies et sillage flatteur, nous traçons à bonne vitesse vers la baie de Pouldohan qui nous servira de mouillage pour le déjeuner. Après un long débat sur la polémique du moment, à savoir la potentielle non-conformité de l’Ultim SVR Lazartigue aux règles de la jauge éponyme et un résumé passionnant de la dernière Vendée Arctique qui vient de se terminer par une neutralisation de la course en Islande sur fond de grosse dépression, nous repartons au près vers notre port d’attache.
Bien décidé à m’investir à bord, je demande à pouvoir participer aux futures manoeuvres. Je m’attelle donc à envoyer la grand-voile puis le génois dans la foulée, le tout en douceur et sans frottements inutiles s’il vous plaît ! A la barre, je me concentre bientôt sur les instructions du navigateur tandis qu’il va et vient sur le pont à la recherche du bon réglage. 5 puis bientôt 6 nœuds s’affichent au speedomètre d’origine du bateau. Diablesse se régale au près sur mer plate dans une dizaine de nœuds de vent.
Aux commandes, j’ai le sourire du journaliste heureux de son reportage, conscient de partager des moments privilégiés et une passion commune pour les vieilles coques avec l’un des grands noms de la voile hexagonale. Des moments inoubliables et d’une grande richesse. C’est sûr, la magie de Diablesse est une nouvelle fois à l’œuvre !